Etre parent invite non seulement à cultiver la bienveillance au sein de la famille, mais bien davantage à penser les circonstances de vie que l’on offre à l’enfant, et à ouvrir en lui, l’éventail des émotions qui animent un cœur humain. Autrement dit il s’agit de réfléchir au monde externe dans lequel se déploie (ou s’asphyxie) l’enfant et à son monde interne : la complexité de ses émotions, les ombres et les lumières de son cœur.
LE MONDE EXTERNE de l’enfant : son environnement.
RAPPEL des précédents articles : L’éducation à la liberté est un défi à relever dans un monde urbanisé et « connecté »
La bienveillance dans ce contexte ne consiste pas seulement à être de gentils parents : elle invite à penser le mode de vie global qui est offert à l’enfant :
A tant focaliser sur l’attitude de bons parents, on oublie que les enfants vivent dans une culture ambiante, avec des circonstances qui sont propres à leur génération. Et l’environnement urbain comme celui des écrans réduit dramatiquement l’espace où l’enfant se déploie. Une enquête réalisée en Angleterre a mis en évidence l’incroyable confinement dans lequel vient les enfants d’aujourd’hui : de l’espace classe à l’appartement le degré de liberté, de déambulations, ou d’errance, avoisine les zéro pour quantité d’enfants. Prendre son vélo, marcher dans les prés, avec des copains ou même seul, relève de la fiction... Peut- on parler de bienveillance et être totalement indifférent à cet étouffement de la liberté ? Peut-on ignorer cette déconnexion de l’enfant à la nature qui ne lui donne plus la possibilité de créer des liens avec un milieu de vie naturel et sa nature d’homme « sauvage » ? Ne doit-on pas aussi s’inquiéter de l’environnement proposé à l’enfant -entre crèche, école et appartement saturé d’écrans…-qui exclue les expériences sensorielles variées, sensuelles, et les leçons de vie que la nature offre ? Au profit exclusif des ‘objets techniques’ de toutes tailles et toutes sortes ?
LE MONDE INTERNE de l’enfant : sa vie intérieure.
L’Ambiguïté de l’enfance : l’enfant suscite incompréhension et malaise.
« Le seul moyen de libérer l’enfance est justement de se mettre à son niveau. » (Comencini)
Dans L’incompris, Comencini nous rappelle que tout enfant se confronte d’une part, aux drames de la perte, des séparations, et de l’incompréhension : qui peut négliger ces aspects dans une société où la famille n’est plus que rarement un milieu stable ? Dans les familles recomposées, monoparentales, les couples divorcés, plus que jamais les enfants se confrontent à des situations parfois chaotiques et tout au moins à des séparations régulières : penser, accompagner la violence de ces vécus, et les souffrances qui y sont associées, est tout aussi crucial que la culture d’une communication non violente.
D’autre part, dans cette période d’enfance, l’individu- que ce soit du coté parental comme de celui de l’enfant- doit encore apprendre comment intégrer à cette innocence merveilleuse, « ce que Comencini appelait ‘la méchanceté naturelle’ cette tendance spontanée de la nature humaine à détruire les autres en essayant de se protéger soi ». Comencini explore l’ambiguïté de ce qu’on appelle l’innocence, qu’il ne dissocie pas de ses conséquences cruelles. Est-ce pur hasard si ce film à sa sortie en 1978 a reçu de façon quasi unanime des commentaires haineux, puis est tombé immédiatement en disgrâce –pour une décennie? Ou bien, comme le commente un critique de Comencini « peut-être est-ce dû à cette idée reçue persistante faisant de l’enfance un monde de pureté absolue, à préserver absolument de toutes les horreurs ou manipulations auxquelles les enfants finiront pourtant fatalement par être confrontés. » et j’ajouterais, dont ils sont aussi les protagonistes, dès leur plus jeune âge…
Comencini soulève même dans son film, un questionnement qui déstabilise : un père qui fonctionne plutôt bien dans son autorité et sa présence parentale- même un « bon » père peut, tuer son enfant -ou plus métaphoriquement, au moins briser le cœur de son enfant, et compromettre son accès à une vie pleine ; même un innocent enfant peut exercer une grande cruauté…L’enfance est ce donc si terrible, quand on voudrait la croire si légère et insouciante ? C’est en tout cas une histoire complexe qui exige plus que des bons sentiments.
On peut jeter un film aux oubliettes et ainsi dissoudre les questions…Une manière d’évacuer ces douloureuses ambiguïtés, est de diviser le monde en deux, une bonne fois pour toutes : on le départage de façon sure et tranchée entre le bien et le mal, la bienveillance et la brutalité ; les innocents et les monstres qui font du mal aux innocents, les enfants et les mauvais adultes, ou bien les enfants gentils et les enfants « terribles » …etc. Comencini comme les artistes cinéastes ou littéraires offrent des perspectives beaucoup plus nuancées- ce qui n’est pas le plus confortable, mais le plus complexe et le plus proche de la vie réelle de l’enfance.
POUR CONCLURE :
L’accompagnement de l’enfant dans sa croissance et sa vie familiale, est une aventure passionnante, riche et qui nous déborde à condition de ne pas la confiner : ni dans le monde externe où l’on réduit dramatiquement le monde de l’enfant à l’espace très restreint de l’école, de l’appartement et des écrans ; ni dans le monde interne où, à force de focaliser sur les bons sentiments, l’on refuse d’envisager le travail de la haine , de la peur, de la culpabilité, de la rivalité, de la perte, alchimie qui œuvre au cœur de nos cœurs, et peut si elle est considérée, ouvrir une caverne d’Ali Baba, pleine de la richesse et de la complexité de nos sentiments humains…
Le prochain article (juillet 2017) comme un tableau du Caravage s’attardera sur les ombres du tableau émotionnel de la famille :
OSER ABORDER L’OMBRE POUR ENVISAGER LA LUMIERE