Un enfant sauvage et… LIBRE !

« L’enfance, me semble être le seul moment de grande liberté pour un individu. » Comencini. Cinéaste.

Encore une fois c’est par des lectures -non pédagogiques, ou éducatives mais romanesques et philosophiques- que je veux ouvrir les questions autour de la liberté de l’enfant et l’éducation possible à celle-ci.

L’enfermement des enfants-la réponse des adultes.

On l’a vu dans l’article précédent, (Comment élever un enfant sauvage en ville) les enfants, en  très grande majorité – confinés exclusivement  dans les espaces-classe et appartement- ou même pour ceux qui vivent à la campagne, sous le  contrôle quasi permanent des adultes, vivent une existence  qui ne leur donne plus la possibilité de « vagabonder », et de faire l’expérience vivante, exaltante et multi-sensorielle de l’extraordinaire saveur de la liberté… Ils ne la connaissent plus que dans les quelques  ‘pouces’ des ordis, tablettes, consoles et portables… Réfléchissons encore une fois aux enjeux essentiels de ce confinement et à l’expérience de la liberté…

Culpabilisés ou désemparés, nombre d’adultes croient respecter l’enfant,  et  lui offrir la liberté en lui donnant à choisir le vêtement qu’il veut porter, la composition de chaque repas, s’il veut se coucher avec Papa ou Maman, le moment de telle ou telle activité…etc. Et comme l’enfant se montre de plus en plus tyrannique face à cette avalanche de choix dont il ne peut,  pour beaucoup, mesurer les enjeux , l’adulte a finalement recours à des jeux de séduction pour essayer de faire entrer l’enfant dans ceux  qui lui paraissent souhaitables… 

La liberté ? Une alchimie d’ouverture des possibles  et sens des responsabilités.

Frankl, psychiatre déporté, lance ce cri d’alerte : « La liberté se pervertit ou dégénère si elle ne trouve pas son indispensable complément dans la responsabilité. » « Nous vivons dans une  société d’abondance et d’air conditionné – une société où l’homme est dorloté et gâté par la mollesse de la civilisation moderne-  et nous sommes submergés « d’excitations » par les mass media (…). Si nous ne voulons pas sombrer dans le flot de toutes ces excitations, dans une promiscuité totale, il nous faut apprendre à faire la discrimination entre ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, ce qui a un sens et ce qui est absurde, entre ce dont nous pourrons répondre devant notre conscience et l’injustifiable. (…) Plus que jamais l’éducation doit être éducation à la responsabilité. Or être responsable, c’est se montrer sélectif, savoir faire un choix. »

 L’être humain est un « système » ouvert à l’infini . 

Un être humain, dès le début, est un être en relation avec l’environnement, avec les autres, avec lui même : et qui cherche toujours à orienter vers, s’ouvrir à …Son accomplissement se réalise plus loin que lui même  ;  n’enfermons pas les enfants : ni dans des espaces confinés,  ni en eux mêmes et leurs seuls désirs immédiats. Plutôt que dorloter et combler toutes les envies de l’enfant, ouvrons nous, adultes,  à sa curiosité et à ses questionnements sans fin,  son besoin  insatiable de comprendre et connaître :   transmettons  lui, encore et encore les moyens de penser et choisir… «Car il est dans la nature de l’homme qu’il soit ouvert, qu’il soit ouvert sur le monde. »

« Trouver son chemin toute seule : Jenny a-t-elle jamais fait autre chose ? » Le parcours de Jenny Polki est un exemple d’itinéraire de liberté, la sienne et celle qu’elle veut donner aux enfants dont elle est l’institutrice. Evoquée par  le récit  de G.Brisac ,in  Vie de ma voisine ,  Jenny Polki est née en 1925, de parents juifs , polonais, athées,  venus s’installer en France ;   la promesse trahie du communisme, l’Occupation, la déportation des parents, la peur, la solitude,  les humiliations :  les épreuves de son existence lui ont donné à penser et  donner un prix à la liberté. 

J’ai retenu trois aspects éclairants de ce chemin de liberté :

1 ) Le rôle de la mère :

Jenny, l’évoque ainsi : « Elle croyait à l’intelligence humaine, à l’éducation. Elle luttait contre la barbarie, contre l’obscurantisme, sans arrêt, tout le temps. » Ainsi ,exemplaire, stupéfiante,  est  la réaction déconcertante de la mère quand Jenny à  trois ans,  est ramenée ‘d’une fugue’ dans la rue : « En janvier 1929, je viens d’avoir 3 ans.(…) Un jour je m’évade, profitant de l’inattention je passe la porte, je sors dans la rue. Quand on m’a demandé où j’allais, toute petite fille dans les rues glacées marchant avec détermination, j’ai dit : je vais chercher mon papa qui vend des chaussettes sur le marché. On m’a ramenée à la maison. Et maman m’a serrée dans les bras, s’est émerveillée de mon audace, elle m’a rassurée, elle m’a dit qu’elle m’aimait. Je l’ai crue. J’ai deviné qu’elle était fière de moi. » Plus que terrifiée par les dangers encourus, une mère fière de son audacieuse petite,  voilà qui donne à penser sur les moyens de rendre libre un enfant, de lui faire aimer la liberté. Et qui, ensuite, éclaire la force du choix déchirant que les parents ont fait  pour donner vie une nouvelle fois à leurs enfants âgés alors de de 17 et 15 ans :

2) Le choix de ses parents :

16 juillet 1942. Rafle du Vel d’Hiv. La famille est arrêtée. Ils sont entassés avec toutes les familles juives de Vincennes dans une villa. On leur annonce que les enfants peuvent partir. « Mes parents se regardent, ils n’échangent pas un mot, ils décident ensemble que nous allons sortir.Ils sont les seuls à avoir pris cette décision. Les autres enfants sont restés. Et tous sont morts. » Jenny ne les reverra jamais, mais elle aura une vie libre, engagée, pleine et heureuse, « frêle esquif traversant le siècle », comme une lumineuse réponse à cette « preuve d’amour sidérante » donnée par ses parents le 16 juillet 1942.

3) Ses choix et questions d’ institutrice en Cours Préparatoire 

« Donner aux enfants les moyens de leur liberté, c’est très concret. La première chose que je fais, c’est afficher un plan du quartier, où nous plaçons ensemble les maisons de tous les élèves avec leurs noms. C’est une grande carte. Nous plaçons aussi la boulangerie, la boucherie, les autres commerces, les passages cloutés, ainsi nous savons où nous nous trouvons. Nous plaçons les autobus, leurs trajets, les arrêtes, les monument du quartier, leurs autres écoles. (…) Un jour la classe part au Jardin des Plantes, mais trois individus se perdent dans le labyrinthe. (…). Nous sommes revenus à l’école, après les avoir appelés un peu. Ils étaient rentrés tout seuls. Ils connaissaient leur quartier. Ils savaient lire les noms des rues à traverser, et la place des passages cloutés ; ils savaient attendre le feu rouge ; ils avaient sans difficulté  retrouvé le chemin de l’école. C’est tout à fait possible à 6 ans. »

« Je n’ai jamais rien fait d’autre qu’appliquer, avec plus ou moins de réussite et de grâce, les principes auxquels je tiens. Les appliquer à la vie de tous les jours. Je ne crois à rien d’autre. La créativité partagée jour après jour, dessin après dessin. L’égalité entre les enfants, jour après jour, incident après incident. La lutte contre la peur, toutes les peurs, qui sont toujours peurs de l’inconnu et peur de l’autre et peur de soi-même et honte. Je ne vois pas d’autre manière de préparer l’avenir . Lutter contre la peur, c’est si difficile. »

« Comment protéger les siens de la peur et du sentiment de la faute ? Comment alléger le poids sur leurs petites épaules ? Comment faire pour que la vie soit plus forte ? » sont les questions qui ont taraudé Jenny Polki…

 Pour conclure aujourd’hui,  ce questionnement sans fin… :

 Apprendre à être libre, c’est peut- être essentiellement,   apprendre comment se libérer de la peur et de la culpabilité. Et comment, affranchi de ces poids, décider de sa vie, à chaque instant : 

Car comme le souligne Frankl psychiatre déporté… « L’éducation doit donner { à l’enfant } la capacité de décider . Alors non seulement sa vie aura un sens pour lui, mais lui-même sera également immunisé contre le conformisme et le totalitarisme-ces deux conséquences du vide existentiel. Car seule une conscience vivante lui permettra de « résister », de ne pas emboiter le pas du conformisme, de ne pas s’incliner devant le totalitarisme.

Qui peut mieux  transmettre les moyens de la liberté que ceux  qui -comme V. Frankl et Jenny Polki-ont connu et subi les conséquences des conformismes et totalitarismes et ont su leur résister ?  

Si « sauvage » signifie « être libre » dans la nature », alors l’éducation à la liberté offre  plus encore que cette aptitude.  Pour  l’ enfant que l’on accompagne, être sauvage et libre, c’est  pouvoir « trouver son propre chemin tout seul » s’ouvrir de manière singulière et personnelle , au monde immense et multiple  : au  monde naturel comme au monde des hommes.